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12 février 2011 6 12 /02 /février /2011 12:09

Cet article a été publié en 2003 dans la revue Passerelles n° 25.

Il reste profondément d'actualité.

 

 

 

 

À l'aube de l'année 2003,

Année de l'Algérie, et 40 ans après la Libération, le peuple algérien s'interroge sur sa propre libération.  

Parce qu'une nation n'est pas la représentation d'une minorité mais la représentation de l'identité collective.

 

 

À l'aube de l'année 2003, Année de l'Algérie et 40 ans après la Libération,  l’état des lieux ne prête pas aux réjouissances et célébrations mais à une macabre comptabilité. Depuis 1992, arrêt du processus électoral, on dénombre 200 000 morts, plus de 10 000 disparus, massacres, viols, actes de torture ( exactions tantôt attribuées aux islamistes tantôt à l’armée), corruption, élections truquées,… L’état d’urgence décrété depuis le 9 février 1992 et l’après 11 septembre 2001 normalisent un peu plus les violations des droits de l’homme dans l’indifférence de la communauté internationale. Face à cet état de guerre, s’élèvent des mouvements de protestation (émeutes, grèves, manifestations). À ce jour, les seules réponses sont les habituelles et vaines promesses, le refus de prise en charge des revendications de la société, l’opacité quant à la gestion de ce pays, la répression, les arrestations arbitraires, une libéralisation économique accrue et tous azimuts. 

18 avril 2002, les manifestants commémorent le déclenchement des révoltes initiées en Kabylie, sur fond de crises politique, économique, sociale et culturelle. 5 juillet 2002, on  célèbre le 40ème anniversaire de la Libération. Et on s'affaire à l’Année de l’Algérie en 2003.

 

Pays pourtant riche en hydrocarbures, l'État algérien manque à ses devoirs les plus élémentaires (logement, alimentation, santé, éducation,…). De ce fait, il contribue à la désorganisation de la société et à l'état de guerre. Au-delà de ses désengagements, il exerce une censure et une répression. L'Algérie, enjeu politique et financier, justifie toutes les abjections possibles contre le peuple algérien, devant une communauté internationale passive.

 

Un projet d’État-nation incertain

 

La Libération a posé la question de la construction de la nation, de son existence. 40 ans après, le peuple algérien s'interroge sur sa propre libération, sur les espoirs portés par cette indépendance, dans l'attente d'une nation [1] pleine et entière, représentative de tous.

L'instabilité du projet d'État-nation trouve son origine dès la guerre de libération.

 *En effet, dès cette période, le débat est confisqué. Les différends se règlent par la violence. Des différends qui opposent les partisans d'une vision communautaire et les partisans d'une vision plus nationale, plus citoyenne. L’organisation extérieure du FLN (Front de libération nationale) s'oppose à l’organisation intérieure, les militaires aux civils, le groupe de Tlemcen au groupe de Tizi-Ouzou,.... Le Congrès de la Soummam en 1956 dominé par Abane Ramdane, un des chefs du mouvement national, dénonce déjà la suprématie du militaire sur le politique et le culte de la personnalité. Abane Ramdane pose comme objectif la libération du pays et l’instauration d’une république démocratique juste, basée sur la participation du peuple à l’édification de la nation. Il est exécuté en 1957.

La suprématie du militaire sur l'État est affirmée. En 1962, Ben Bella arrive au pouvoir par la force, avec l’aide de l’armée des frontières. C’est le début de la légitimation des putshs dont il sera lui-même victime. Et l’Algérie naît et s’enferme dans des conflits et des confrontations intestines. Le pouvoir jusqu'à ce jour, ne sera jamais issu de la volonté des citoyens. Car à la Libération, entre la branche citoyenne et la branche militaire du FLN, c'est la seconde qui l'emportera, ouvrant également la voie aux fondamentalistes. Et on trouvera même parmi les généraux proches du pouvoir  algérien, des officiers de l'armée française au moment de la bataille d'Alger en 1957…

En 1992, c’est l’interruption du processus électoral justifiée par l’arrivée majoritaire du FIS au 1er tour des législatives. C’est l’engrenage, le début d'une crise sans précédent. Mohamed Boudiaf, un des acteurs essentiels du mouvement de libération, connaît le même sort qu'Abane Ramdane. Devenu président en 1992, il veut mettre fin à la corruption et mettre en place une véritable démocratie. Six mois plus tard il est assassiné sous les yeux des télespectateurs. Tous deux furent (parmi quelques autres) les porte-drapeaux de l’utopie de la nation algérienne.

Par conséquent, la libération qui aurait dû s’affirmer en tant que décharge de servitude (Littré), n’a finalement abouti qu’à une libération de forme (départ du colonisateur et libération du pays) et non de fond (libération du peuple algérien par la participation de l'ensemble de la population aux affaires du pays). En d’autres termes, ce pays demeure aliéné par les conflits de pouvoir. L’Algérie est indépendante mais pas pour autant libérée. La prison se reproduit et chaque libération la porte à nouveau en germe. (Kateb Yacine).

 

*Un autre élément a contribué à l'instabilité du projet d'État-nation durant la guerre : la difficulté des Algériens de se penser en tant que nation. Pourquoi ? Le sentiment national est loin de rencontrer l'adhésion de l’ensemble de la population parce que la paysannerie algérienne reste attachée à ses valeurs et ses particularités locales comme le font remarquer les historiens Benjamin Stora[2] et Mohammed Harbi [3]. L'Algérie étant un État tribal, l'idée d'une nation unifiée s'est par conséquent imposée par la violence et la contrainte. Les sanctions infligées par le FLN à la population algérienne ne suivant pas à la lettre ses consignes sont assez révélatrices (nez coupé,…). Déjà en 1843, Abd El Kader, émir algérien, n’échoua-t-il pas dans son entreprise d’unification des forces du pays contre le colonisateur ?

Par ailleurs, une interrogation mérite d'être posée : une fois la guerre engagée, la société rurale n'a-t-elle pas exprimé dans la violence de la guerre, la violence sociale qu'elle subissait (de par les inégalités, la misère sociale et l'humiliation) ? Encore un élément qui semble montrer que la population n'a pas été véritablement guidée par la perspective d'une construction nationale.

 

 *Et pour consolider ce sentiment national arraché et bien incertain, les révolutionnaires instrumentalisèrent l’Islam : en définissant exclusivement l'Algérien comme un musulman dont la langue est l'arabe. Le refus de cette définition étant assimilé à une traîtrise et à une francisation. C'est ainsi que l’idée d’unité, d’union nationale n’avait d’autre sens que l’idéologie de l’unique : une religion, une langue, un parti. La Charte de 1976 stipule que “ la Nation n’est pas un assemblage de peuples ou une mosaïque d’ethnies disparates. ” Cette instrumentalisation de l'Islam pour la nation a développé des sentiments ultranationalistes, augmenté le fossé entre hommes et femmes, régit la sphère privée,…

 

 *Aussi, le sentiment national a été déterminé comme moyen de défense et d’union par-delà les diversités, et non comme projet de nation. Il s’est construit et cristallisé par opposition à la France et non par la volonté d’expression de son identité propre et plurielle, et continue à fonctionner par exclusion, même si paradoxalement, le modèle colonial et républicain est omniprésent dans la société algérienne (État centralisateur,…). Or la notion de nation aurait dû être appréhendée à partir de la conception de Messali Hadj qui revendiquait en 1936 : Ni assimilation, ni séparation, mais émancipation.

 

*Et enfin, l’État français ne reconnaît significativement la guerre d'Algérie comme telle, et ne n'évoque  plus des événements, que le 18 octobre 1999. Ce premier pas marque t-il pour autant la fin des non-dits ?

 

Ainsi la libération s’est arrachée d’une part sur la négation du conflit par l'occupant, d’autre part sur des conflits de pouvoir, une confusion d'identité et une instabilité politique internes à l’Algérie.

 

La nation empêchée

 

Une fois l’indépendance acquise, les autorités algériennes s'enlisent dans des conflits de pouvoir, sans jamais tenir compte des aspirations de son peuple. Et aujourd’hui, les Algériens vivent dans un État de non-droit, où les droits les plus fondamentaux sont bafoués : droit à l’alimentation, au travail, au logement, à la santé, à l’éducation, à l’information, à l’expression, à la justice, à la sécurité, bref droit à la dignité humaine, à la dignité d’un peuple.

 

L’État manque à ses devoirs les plus élémentaires en dépit des ressources naturelles du pays et de la rente pétrolière. 20 milliards de $ de réserves entreposées dans des banques étrangères ne servent pas à l’investissement en Algérie mais au monde extérieur [4].

Sous la pression du FMI, l'État est contraint de réduire drastiquement les dépenses publiques dans des secteurs essentiels (logements, santé, éducation,…). Dans ces circonstances, comment survivre lorsque 23 % [5] de la population vit en deçà du seuil de pauvreté c’est-à-dire avec un revenu quotidien inférieur à 80 dinars (soit 1 $) quand on sait que le litre de lait est à 27 dinars, les fruits entre 80 et 150 dinars le kilo, la viande à plus de 500 dinars le kilo (et 47 % de la population vit dans la précarité). À cela s’ajoutent les pénuries d’eau. Le constat est sans appel : une famille sur 5 souffre de malnutrition.

Comment survivre quand les logements sont surpeuplés et exigus, quand les Algériens sont contraints d’habiter les cimetières, problème accentué après les intempéries dévastatrices de novembre 2001. Que dire de l’environnement, de l’eau pour partie non traitée, des décharges de plein air ( les usines de traitement des déchets étant inexistantes), …

Et ces malades qui doivent apporter avec eux le nécessaire pour être hospitalisés . Des maladies jadis éradiquées refont surface : typhoïde, choléra,…sans parler de la pénurie de médicaments et de leur prix élevé, de la mortalité maternelle importante, de la mort de bébés à la suite de vaccination...

Quant au système éducatif, le niveau d’instruction de la société algérienne est très faible, 3 % seulement des Algériens sont bacheliers, insuffisance due aux abandons, exclusions et à l’échec scolaire. La durée moyenne de scolarité est de 5,48 années alors qu’en France elle est de 19,7 années. Le système éducatif est inadapté : système bureaucratique, médiocre formation des formateurs (50 % du corps enseignant ne sont pas titulaires du bac.). La politique d’arabisation autoritaire et sauvage (menée depuis 62 et confortée depuis) a largement contribué à la détérioration de la qualité de l’enseignement. En effet, cette politique dont l’objet est de marginaliser les autres langues et parlers du pays (berbère, français, arabe dialectal qui sont pourtant les plus parlés) et d’instaurer la langue coranique a apporté une vision tronquée de l’histoire en niant l’histoire préislamique notamment et véhiculé les ferments de l’islamisme. L’éducation n’assume plus ses fonctions d’émancipation de la pensée mais de cristallisation des valeurs religieuses. Pourtant On ne peut cacher indéfiniment à un peuple son histoire. Il finit par la connaître et l’écrire lui-même. [6] Les cours sont parfois dispensés dans le froid, le noir, et dans des locaux sans portes. Le système éducatif n’offre aucune perspective sinon le chômage qui touche environ 40 % de la population active.

Et que penser de la justice lorsque la concorde civile du président Bouteflika du 13 juillet 1999 a permis de gracier les combattants islamistes armés qui déposaient leurs armes et se présentaient aux autorités. Certains auraient d' ailleurs repris le maquis. Cette loi a exonéré les repentis des poursuites pénales. Cette impunité légalisée (ajoutée à l'impunité  au quotidien, faute de procès à la suite d'actes de tortures, arrestations arbitraires, exécutions, disparitions,…) entretient un sentiment de rancœur profond et de décridibilisation vis-à-vis des autorités et de la justice qui n'assure pas son devoir d'impartialité.

La protection et l’assistance à la population ne sont pas assurées.Les massacres de Bentalha de 1997 sont perpétrés tout près d’une caserne militaire sans que les criminels en soient inquiétés. Aucune véritable enquête sur l'identité des commanditaires n'a été entreprise. Ce qui a ouvert la voie à de très larges spéculations. La population est impunémment massacrée. Amnesty International parle d’institutionnalisation de la violation des droits humains et d’impunité généralisée dont bénéficient les auteurs d’atteintes aux droits humains. Et on le sait, le périmètre énergétique et industriel, lui, est ultra sécurisé. Pour assurer sa défense, on distribue des armes à la population....

 

Une société de substitution. Devant l’absence d’état de droit, l’état de guerre, la désorganisation et la dislocation de la société s’imposent depuis 1992. C’est la lutte de tous contre tous dans un climat de peur généralisé et de suspicion.

Une véritable société parallèle de substitution se met en place pour les logements dans les bidonvilles, les cimetières, les garages, etc.

Devant les pluies diluviennes qui se sont abattues sur le pays en novembre 2001, l’État est resté absent. Seule la solidarité populaire a joué (à laquelle "s'ajoutent" des dons provenant d'empires tels que Khalifa, dons issus, semble-t-il, de la rente pétrolière). Dans tous les secteurs d’activité, il y a pénurie, alors on a recours au trabendo, l’économie informelle, échappant au contrôle de l'État. Afin d'éviter  la pression fiscale et la lourdeur bureaucratique, de plus en plus de commerçants en règle rejoignent ces marchés parallèles.

Quant à l’éducation, des écoles privées et des écoles coraniques prennent le relai. Face à l’indigence de l’enseignement, les universitaires quittent le pays (400 en 2000).

La Kabylie secouée par les événements d’avril 2001, (dont les revendications portent sur le niveau de vie et la liberté d’expression), met en place des comités de village, les aârch qui se substituent à toute forme d’organisation politique et étatique discrédités car jugés compromis avec le pouvoir corrompu. Ils gèrent alors la vie quotidienne et sont les interlocuteurs des pouvoirs publics.

Cette société de substitution qui fait en partie appel aux relations et à ses compétences en matière de débrouillardise, a pour effet de créer de criantes inégalités.

 

Censure et répression. Cette insatisfaction, et c’est un euphémisme, ne peut s’exprimer que par la violence car, ce qui caractérise la société algérienne est l’absence de débat, la censure et la répression légitimée par l’état d’urgence depuis 1992 et l’après 11 septembre 2001. Même si l'année 89 marque la reconnaissance du multipartisme et de quelques autres pseudos-libertés. La société est entièrement cadenassée infiltrée et investie par le champ policier.

Prenons l’exemple des syndicats. Si depuis 1989, il est reconnu la possibilité de former des syndicats, dans la réalité l’État ne reconnaît qu’un syndicat unique, l’UGTA (Union générale des travailleurs algériens). L’existence du contrôle sur les autres syndicats, notamment dans la procédure de reconnaissance de ceux-ci (refus de délivrance de l’agrément), est tel que leur liberté de manœuvre est très réduite.

La même chose se produit dans la presse. Elle ne jouit pas d’une grande marge de manœuvre dans la mesure où l’État est en majorié propriétaire des imprimeries, les recettes publicitaires proviennent du secteur public et l’État a le monopole de l’importation de papier. À cela s’ajoute un arsenal répressif à l’encontre des journalistes. En effet, la révision récente du code pénal alourdit les amendes pour diffamation envers les corps constitués. Ce qui a pour effet de ruiner les journaux, les amendes étant considérables, ou de s'auto-censurer. Certains journalistes sont entendus pour s’expliquer de leur propos. Et derrière l’arsenal législatif, il y a les assassinats, les enlèvements, les arrestations des journalistes et depuis le 25 mai 2002, l’interdiction à la presse internationale de se rendre en Kabylie (région la plus touchée par les contestations) et d'accéder aux informations sur les massacres, également le refus d'accorder des autorisations aux commissions d'enquête internationales.

La reconnaissance du multipartisme en 89 a conduit à créer de nombreux partis, empêchant ainsi l'émergence d'une unité revendicatrice, dispersant les contestations.

La confiscation de la parole s’exprime aussi à travers le trucage des élections. Les récentes élections législatives du 30 mai 2002 boycottées par une partie de la population et caractérisées par un taux d’abstention record depuis l’indépendance ( autour de 47,49 % ) donne gagnant le FLN ancien parti unique…

 

Non-prise en charge des revendications de la société. La confiscation de la parole s’accompagne de l’illégalité de la contestation. Le 18 avril 2001, un jeune lycéen trouve la mort dans une brigade de gendarmerie en Kabylie. C’est le début des révoltes qui vont s’étendre à l’ensemble du pays jusqu’au Sahara à Djanet le 12 janvier 2002 dont les revendications vont dépasser le cadre régionaliste dans lequel on voudrait l’y assoir. Aux cris de “ Pouvoir assassin ” “ Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts. ”, “ Pas de pardon ”, “ Non à la hogra (mépris) ”, les manifestants, durement réprimés, réclament un État de droit et moins de mépris (hogra).On compte une centaine de morts et des milliers de blessés.

Une plate-forme de revendications en 15 points a vu le jour : la plate-forme d’El Kseur. Mais aucune issue à la crise n’a encore été trouvée, si ce n’est la reconnaissance constitutionnelle du tamazigh comme langue nationale, intervenue à quelques mois des élections législatives du 30 mai 2002. La colère de la population et la répression se poursuivent.

Le civisme devient honteuse soumission. Le refus de servir est un devoir sacré, le respect du vrai. Quand l’armée est utilisée comme instrument de domination, l’armée est en révolte contre la démocratie.[7] : Voilà le sentiment qui domine aujourd’hui dans une partie du pays, le rôle de l’armée étant prépondérant.

Le refus de prise en charge des revendications de la société implique une violation des Pactes et Conventions internationaux qui constituent une protection de la population algérienne.[8]  D'autant plus que les conventions internationales priment sur le droit interne en Algérie.

 

L’Algérie est un enjeu politique et financier qui justifie toutes les abjections possibles contre le peuple algérien. Enjeu financier d’une part. La hausse du prix du pétrole a permis de dégager un excédent budgétaire, 540 milliards de dinars soit 6,7 milliards de dollars fin juin 2001 et la dette extérieure ne cesse de diminuer depuis 96. Mais le niveau de vie des Algériens est au plus bas. Cet argent est détourné et mis dans des banques étrangères au service d'une minorité alors que dans le même temps, tout est importé. L’agriculture algérienne n’assure que 25 % environ des besoins de la population. La surface agricole, déjà réduite, a baissé de plus de 40 % en 30 ans, laissant la part belle à la spéculation immobilière.

 

Dans le même ordre d’idées, l’année 2003 est l’Année de l’Algérie. Pour ces animations culturelles en France , le gouvernement algérien va débloquer 185 millions de dinars soit  2,6 millions d’euros. Une année supposée apporter au public français des éléments de compréhension de la culture algérienne et réhabiliter la culture algérienne. Comment réhabiliter la culture algérienne quand la liberté d’expression est empêchée ? Quand la majorité des programmations pour 2003 ne rendent pas visibles les vrais problèmes en se noyant dans le folklore et les divertissements. Le 18 avril 2003, alors que l'on commémorera les révoltes , on continuera en France à fêter l'Algérie…"Quand il y une date à célébrer, on sort les drapeaux, on nous sort nous aussi, et puis quand la date est passée, on nous remet dans les placards comme les drapeaux et les banderoles." [9]

 

Enjeu politique d’autre part où généraux et islamistes, généraux et généraux, se disputent le pays en le mettant à feu et à sang, se renvoyant dos à dos la responsabilité.

La gestion des crises par les autorités algériennes passe par leur inertie, l’opacité, la confusion, la division, le pourissement, dans le seul but de ménager les différents clans au pouvoir et se maintenir au pouvoir et continuer à se partager le pays. Alors même que penser l’État, c’est distinguer pouvoir et propriété individuelle. Pourtant la nouvelle  Constitution de novembre 96 renforce le pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif.

Pendant la guerre de libération, on luttait pour la réapproppriation des terres confisquées par le colonisateur. La libération aurait dû se concevoir en termes de réappropriation au nom du peuple algérien et non pas au nom de l’intérêt personnel. Or aujourd'hui, la minorité aux commandes de l'État gère le pays dans son propre intérêt. Équilibriste de la discorde, elle se maintient à chaque élection (en attendant toujours les suivantes, en l'occurrence celles de 2004).

 

Une communauté internationale passive (et nécessairement complice).L’Algérie, tant sur le plan national qu’international, est un enjeu politique et financier.

Sur le plan politique, l’affaire Nezzar est assez éloquente et révélatrice du système de fonctionnement du pays. Général à la retraite, Khaled Nezzar se rend en France le 25 avril 2001 pour promouvoir son livre. Au cours de sa conférence-débat au Centre culturel algérien, il apprend que le parquet de Paris est instruit d’une plainte pour torture. Au titre de la Convention internationale contre la torture de 1984, la France est tenue de traduire en justice la personne incriminée. Khaled Nezzar met fin à sa conférence et regagne précipitamment Alger sans crainte d’être arrêté. Les autorités algériennes et françaises font valoir que Khaled Nezzar est en mission officielle et bénéficie donc de l’immunité, alors qu’il était à Paris pour la promotion de son livre…

François Gèze, dans un article intitulé  Françalgérie : sang, intox et corruption [10], apporte des éléments de compréhension quant à la passivité des différents gouvernements français face au terrorisme, à la corruption,… en Algérie. Ainsi, pour que la France n'enlève pas son soutien au régime despotique algérien, les services algériens déploient tous les moyens (y compris les attentats) pour arriver à ses fins.

Par ailleurs, il s'interroge légitimement sur l'inexistence d'une commission d’enquête internationale à ce jour alors que aucune véritable enquête nationale n’est engagée, que la désinformation de l'opinion est à son comble et que les crimes restent impunis. Le peuple algérien n’est-il pas en droit d’exiger cette commission internationale face à l’incapacité des autorités algériennes de rétablir la justice ? En réalité, il semblerait que les autorités algériennes font pression sur le gouvernement français pour que celui-ci empêche (au sein de l'ONU) la création d'une commission d'enquête internationale  en Algérie.

 

Sur le plan financier, les accords d'association avec l’UE signés en avril 2002 portent sur la libéralisation de l’économie. Mais l’article 2 de l’Accord pose comme élément essentiel d’adhésion à l’accord, le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’homme tels qu’énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’homme.

Par voie de conséquence, l’UE ne reconnaît pas les exactions des militaires au pouvoir et entretient donc la violence, soutient les généraux et la corruption en accordant un intérêt premier à l’aspect économique et commercial de l’Accord, l’UE s’approvisionnant en hydrocarbures (gaz et pétrole) en Algérie.

Et la perspective d’adhésion de l’Algérie à l’OMC devrait accentuer la libéralisation, et aggraver la situation économique du pays (licenciements, fermetures d’usines,…) et voir le niveau de vie des Algériens déjà bien bas se détériorer plus encore.

 

“ L’Algérie marche dans nos rêves. ” (Kateb Yacine) parce qu’il n’y a pas de coïncidence entre la société civile et l’autorité publique. Le peuple est exclu du pays et du débat. Ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? (Brecht). Or qu’est-ce-que la nation, sinon la représentation de l’identité collective par l’autorité publique, une volonté de vivre ensemble ? On peut se demander si l'État-nation n'est pas un concept étranger à l'Islam. Car l'Islam semble difficilement s'accommoder de l'idée de souveraineté populaire.

 

La place faite aux femmes est incontestablement un indicateur d’évolution de la société humaine, d’une certaine idée du respect des droits humains. Comment reconnaître l’existence des femmes à part entière quand on sait que cette reconnaissance pourrait remettre en question un système sur lequel est bien assise la nomenklatura algérienne très attachée à ses privilèges financiers et politiques.

Les femmes sont un enjeu politique. On le voit quand le président de la République A. Bouteflika a, dans un de ses discours, conseillé aux femmes d’éviter la minijupe et de fumer en public pour ne pas choquer les islamistes, et d’autre part par son immobilisme quant au code de la famille qui fait des femmes des mineurs à vie, institutionnalisant les rapports de domination et toutes les violences qui peuvent en découler, faisant des femmes victimes de viols les coupables.

Que dire de ces expéditions punitives contre des femmes seules travaillant pour subvenir à leurs besoins et assimilées à des prostituées. En juillet dernier, à Hassi Messaoud, dans un bastion en hydrocarbures ultra sécurisé, 300 à 500 personnes font irruption dans sa banlieue où logent des femmes de ménage et des cuisinières. Et c’est le carnage : viols collectifs, tortures. Pourtant, le débat reste tabou.

On le comprend bien, remettre en question le statut des femmes reviendrait à remettre en cause la lettre des textes religieux et législatif, et par voie de conséquence le fonctionnement de ces sociétés qui reposent essentiellement sur la domination masculine.

 

 

Le peuple algérien est désespérément en quête d’un lieu qui n’existe pas encore, d’une Nation utopique. D’ailleurs, un des pères de l’idée de la nation algérienne, Ferhat Abbas, ne s’exprimait-il pas ainsi en 1936 : “ Je ne mourrai pas pour la patrie algérienne, parce que cette patrie n’existe pas. Je ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les vivants et les morts. J’ai visité les cimetières. Personne ne m’en a parléOn ne bâtit pas sur du vent…”.

Les violences et les contrôles subis par la population lui permettent difficilement de se mobiliser et remettre en cause un système bien assis sur la corruption. Il lui est aussi difficile de quitter le pays comte tenu du faible nombre de visas accordés par les pays destinataires. Au surplus, une fois sur le territoire français, la communauté algérienne immigrée est surveillée de près par des agents de la Sécurité Militaire (depuis 1988 : Département de renseignement et de sécurité (DRS)), activité connue des services de renseignement français.

Mais il faut continuer d'une part de dénoncer et ouvrir les débats pour soutenir les revendications pour un État de droit et un État pour tous, pour une libération pleine et entière. Et d'autre part, essayer par-delà les résistances de dépasser les contestations corporatistes et communautaires (femmes, syndicats, presse, Kabyles, partis politiques,…) en associant la pluralité des revendications.

La cause du peuple algérien est la cause de tous les hommes libres.[11]

 

 

 

 

[1] Nation vient du latin nascere, naître

[2] Politis, 14 mars 2002, Accepter le côté sombre de l'Histoire

[3] Le Monde diplomatique, juillet 2002, Et la violence vint à l'Algérie

[4] Le Monde, 8 février 2002

[5] Les chiffres cités dans cet article sont tirés du rapport de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme) n° 319 de novembre 2001

[6] Ferhat Abbas, La Nuit coloniale, éd. Julliard , 1962

[7] Manifeste des 121 publié le 06 septembre 1960 revendique pour les soldats “ le droit à l’insurrection ”

[8] Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Convention contre la torture, Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, Convention pour l'élimination de la discrimination raciale, Convention relative aux droits de l'enfant, Charte africaine des droits de l'homme et des peuples

[9] Zhor Zerrari, Actes de la table ronde sur "La participation de la femme algérienne dans la lutte de libération nationale" in Cahiers maghrébins, université d'Oran, juin 1988. Cité dans Algérie le livre noir Amnesty International, Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, Human Rights Watch, Reporters sans frontières, La découverte, 1997, p. 104          

[10] Mouvements, n° 21-22, 16 mai 2002

[11] Manifeste des 121

 

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